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Chroniques
Philippe Leroux
Quid sit Musicus ?
Pour le Moyen Âge et la Renaissance, l’œuvre du philosophe romain Boèce (de son vrai nom Anicius Manlius Severinus Boethius, c.480-524) fut une source inestimable pour comprendre l’héritage antique, notamment grâce à des traductions et commentaires du Grec Aristote (384-322 av. J.-C.). Ses pensées intéressent aussi notre siècle. Si l’on feuillette De institutione musica (510), par exemple, Boèce cherche à définir ce qu’est le musicien. Est-ce le chanteur, l’instrumentiste ? Celui qui compose par instinct naturel ou bien celui qui veut percer les lois de son art ? À une époque de mutations technologiques où le compositeur organise un discours en même temps qu’il peut inventer des sons, la question n’est pas surannée.
Créé dans le cadre du festival ManiFeste [lire notre chronique du 18 juin 2014], puis enregistré à l’Ircam sous le regard de Gilbert Nouno, Quid sit Musicus ? est « une tresse musicale [qui] a comme enjeu formel d’assurer à la fois la continuité et la cohérence des idées, tout en préparant l’auditeur aux plus étonnantes surprises ». L’une d’elle est le recours à quatre pièces du passé signées Guillaume de Machaut (c.1300-1377) et Jacob de Senlèches (c.1378-1395). Une autre est d’incorporer Cinq poèmes de Jean Grosjean (Strasbourg, 2010), cycle a cappella de Philippe Leroux (né en 1959), ici émietté et enrichi par l’électronique en temps réel.
Du Francilien, une dizaine de fragments neufs complètent la mosaïque avec le projet précis « d’extraire l’essence gestuelle des écrits de Machaut et d’en donner une nouvelle interprétation, sachant que l’écriture neumatique du XIVe siècle était étroitement liée au geste sonore qu’elle suscitait » – papier interactif et stylo optique Bluetooth ont permis l’extraction voulue à partir des calligraphies originales. Dans ces parcelles plus qu’ailleurs, les mots s’allongent en plainte ou filent en fusée, connaissent la saccade ou l’énonciation affolée qui ne garde d’eux que la matière musicale. On rencontre aussi nombre de sons saugrenus (onomatopée, nasillement, feulement, etc.) qui participent à l’envoûtement général de ce « véritable bijou » (dixit notre confrère).
Connu pour ses fréquentes mises en regard des anciens (Dufay, Palestrina, Pérotin, etc.) et des modernes (Harvey, Huber, Saariaho, etc.) [lire notre chronique du 14 janvier 2013], l’ensemble Solistes XXI défend ce programme avec sept chanteurs : Raphaëlle Kennedy, Marie Albert (soprano), Lucile Richardot (mezzo-soprano), Vincent Bouchot, Laurent David (ténor), Jean-Christophe Jacques (baryton) et Marc Busnel (basse). Caroline Delume (guitare, luth) et Valérie Dulac (violoncelle, vièle) les accompagnent, également sous la direction de Rachid Safir.
LB